Prendre la bonne décision

    Ce dimanche, il faut beau, même très beau. Grand soleil, visibilité fantastique mais voilà, le vent souffle encore de toute sa puissance. Rien qu'à jeter un oeil sur le METAR, on comprend de suite, que la navigation solo va être compliquée. La Nav solo est organisée de la manière suivante : LFMV-LFNG-LFMS.  Voici le METAR à mon arrivée au club :


METAR LFMV 221230Z AUTO 36017G27KT 330V030 9999DVD NSC 14/M09  Q1021

   Après l'étude météo et Notam, Patrice me fait remarquer que les vents sur le secteur de Montpellier seront nettement plus faibles qu'en Avignon. Pas très chaud au départ pour faire cette navigation, Patrice me propose deux tours de piste avec cette météo, car la plus grand difficulté de cette navigation sera l'arrivée sur Avignon où les vents sont les plus forts. J'effectue donc deux tours de piste avec mon instructeur à bord. En majorant les vitesses et en tenant compte de la dérive importante aujourd'hui, finalement, je m'en sors plutôt assez bien. De retour au parking club, Patrice me demande si je suis partant pour cette navigation solo. Je me dis qu'en prenant les marges nécessaires (vitesses, altitudes, dérives), et dans la mesure où le relief est très faible ici, je peux y aller sans risque. J'avais anticipé cette décision en notant au préalable les cap magnétiques sur mon log en tenant compte du vent d'aujourd'hui sur tout le circuit. Mine de rien, en plein travers, le Cessna 152 va prendre 22° de dérive !  Je me dis aussi que cette phase d'instruction doit me permettre de gérer tous les temps possibles, dans la limite de mes compétences et de mon expérience.

 

  Aligné en 35, seul à bord, je suis autorisé au décollage avec un vent du 360 à 13 nœuds et 28 en rafale. Je décolle. Après la montée initiale, je prends le cap pour rejoindre Sierra Whisky (point au sud ouest de la CTR) avec un cap magnétique de 278°, autant dire un vent plein de travers. Punaise, là je dois admettre que ça secoue grave. Un p'tit coup d'adrénaline au passage dans le ventre, mais rapidement la motivation pour laquelle j'ai envie de voler aujourd'hui et la concentration prennent le dessus. A bord de l'appareil, la dérive se ressent énormément ; aux commandes, l'effet de glissade est très bien perçu, ça en devient même rigolo.

  Verticale SW, j'annonce à Avignon Tour ma sortie de la CTR et prends mon nouveau cap. Se sera Beaucaire. Je remplis le log de navigation, effectue une checklist et prends contact avec Rhône Info. Bravo Charlie atteint, on peut difficilement raté le barrage sur le Rhône, je vire vers Arles et son point d'intersection Alpha Lima. Le vent a baissé dans ce secteur et j'ai même le temps de filmer Arles et ses environs. Le péage autoroutier passé, je m'annonce pour Alpha Mike (Aigues Mortes). Cette navigation solo se passe à merveille. Bon je ne dis pas qu'avec moins de vent se ne serait pas mieux, mais franchement le temps est beau, je passe bien mes points tournants, la radio est bien gérée, que du bonheur.

 


Arles

   A hauteur de Saint-Gilles, alors que je suis en train d'admirer la Camargue à 2000 pieds,  une étrange odeur de plastic brulé me monte au nez. Pas de fumée mais cette odeur est assez brutale en intensité. Je fais le tour des instruments de bords, les différents appareils embarqués dont le GPS portable de Patrice qui tracera ma navigation, mais rien ne m'indique d'où vient cette odeur. Je regarde ma carte. Montpellier est encore loin, et un atterrissage d'urgence dans les marécages serait catastrophique. Décision prise, j'appelle Rhône Info, et demande un déroutement vers Nîmes Garons. Le contrôleur m'annonce un cap plein Nord à 8 Nm. Je vire et une fois au cap 360, j'entrevois les installations de LFTW. A cause du vent, j'avais opté pour une altitude de croisière de 2000 f, et décide de la conserver jusqu'en finale pour anticiper une éventuelle panne moteur. A 2000 ft avec un vent à 20 kt de face, j'ai plus de chance qu'à 1300 ft (hauteur du tour de piste).

 

 

   Checks descente, approche, me voici en finale piste 36. Rhône Info m'annonce que les pompiers m'attendent et que les filets ont été armés. A ce moment précis, je commence à regretter ce déroutement. A moi tout seul, voilà que je vais générer tout ce fourbis avec le comité d'accueil. De toute manière, ce qui est fait est fait et maintenant je suis à 50 ft sol, au dessus du peigne, et je vois sur ma gauche un premier véhicule des pompiers stationné au point d'arrêt prêt à me suivre. Je me pose finalement avec un vent de 20 kt plein face, sans trop être gêné car le vent est dans l'axe et le cisaillement est inexistant. Au sol, je contacte directement Nîmes Sol car la Tour a été zappée par Rhône Info. Durant mon roulage, je suis accompagné par les véhicules des pompiers, comme vous le verrez sur la vidéo postée plus bas.

   Enfin stationné, moteur éteint, me voilà désormais encerclé par des véhicules d'intervention des pompiers militaires de la base de Nîmes Garons. Après un contrôle visuel de mon appareil par des personnels de la base, on m'informe qu'aucune anomalie a été détectée. Je suis un petit peu vexé car j'ai la nette impression que certains d'entre eux pensent que j'ai eu des visions olfactives ! Au bureau de piste, je contacte la Tour par téléphone en leur communiquant mes intentions de départ vers LFNG, point suivant de ma navigation. 

 

 

   Prévol effectué, je contacte le Sol qui me donne les indications de roulage pour rejoindre le point d'arrêt. Au cours du roulage, j'ai la chance inouïe de voir deux Pélicans de la sécurité civile décoller devant moi alors que je remonte le taxiway. Au point d'arrêt, en train d'effectuer mes essais moteurs, me passe sous le nez un Boeing 737 de Ryanair au décollage ... finalement, ce passage par Nîmes n'aura pas été complètement désagréable.  Turbulences de sillage passées, la tour m'autorise à m'aligner.

   Aligné sur la piste 36, autorisation de décollage reçue, je m'élance. Toujours à cause du vent, je majore ma Vr de 55 à 65 kts. Puissance affichée, badin actif, pas d'alarme, je poursuis le décollage. A 60 nœuds, la radio se met à clignoter et subitement s'éteint. Plus d'affichage ! une demi seconde plus tard, c'est le tour de l'ADF ... plus d'instruments électriques à bord. Je regarde le badin, on atteint les 65 nœuds et l'avion a tendance déjà à se soulever seul. Décision prise : interruption volontaire du décollage.

   Je coupe le gaz, effectue un freinage d'urgence et une fois la vitesse contrôlée, je sors à la première bretelle. Le sors a voulu que ce taxiway soit celui qui va m'amener au terminal commercial de Nimes Garons , là même où le 737 était stationné 10 minutes au paravent.  A première vue, il s'agit d'une panne électrique ce qui m'empêche de prévenir la Tour ou même le Sol par la radio. Je décide de couper tout, même le moteur. Je sors de mon appareil et un personnel de la base alerté par ma manœuvre d'interruption brutale du décollage arrive à mes cotés. J'appelle Patrice par téléphone pour lui rendre compte de toutes mes péripéties. 

 

   Mon instructeur prends la décision de venir à LFTW avec un autre Cessna 152 et une radio portable au cas où. Sachant le temps qu'il lui faudra pour arriver, je prépare mon LOG de navigation pour un retour imprévue : NIMES-AVIGNON. Patrice arrive avec le Novembre Sierra. On discute une dizaine de minutes et la décision est prise que lui rentrera avec mon C152 et la radio portable et moi je prendrais l'autre Cessna, celui avec lequel Patrice est venu.  Au parking, chacun dans nos avions, Patrice démarre le premier. Du moins, il tente et se rend compte que la batterie est désormais trop faible pour démarrer le moteur. A ce moment là, je me rends compte que ma première décision de déroutement et ma seconde décision d'interrompre le décollage a été d'une grande clairvoyance. La première fois que je me suis dérouté, si j'avais continué mon vol sur LFNG, quel aurait été l'état de la batterie à l'entrée de la CTR de Montpellier ? et la seconde fois, si j'avais poursuivis le décollage, j'aurais été incapable de rentrer les volets, les instruments électriques hors services et surtout impossible de me poser à Avignon (radio obligatoire) donc tenu de me dérouter sur LFNZ (Carpentras).  Le sentiment où j'avais été vexé tout à l'heure avec des militaires incapables de déterminer cette odeur,.. bien ce sentiment vient d'être balayé par la certitude que j'ai pris les bonnes décisions au bon moment. 

 

   Du coup, on laisse mon Novembre Yankee au parking (croix rouge sur la photo ci-dessus) et Patrice et moi rentrons sur Avignon dans le même appareil. Log de navigation et carte sur les genoux, nous voilà reparti dans les airs... Un retour plutôt tranquille, avec le superbe survol de Tarascon ensoleillé, je profite néanmoins d'une arrivée turbulente sur le terrain d'Avignon, pleine d'enseignement. Je coupe le moteur, il est 18 heures 30.

 



 
DEBRIEFING
 
   Après retour de l'appareil sur Avignon, le mécanicien en charge de la réparation m'informe que l'origine de l'accident est la rupture d'un fusible thermique assurant la protection du circuit de l'alternateur. Cette rupture a causé la destruction du disjoncteur en brûlant la bakélite qui l'entoure, d'où l'odeur sentie durant le vol. L'alternateur ainsi isolé, ne rechargeait plus la batterie.
   L'erreur commise de ma part a été la reprise du vol à Nimes Garons. Dans ce cas, j'aurais du obtenir l'avis technique du mécanicien de l'atelier de l'AC qui est la seule personne habilitée à déterminer si l'avion était apte ou non au vol.